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Notre Généalogie
Pentecôte Ofcard
Hubert Ofcard
Hubert OFCARD (1898-1960), était comptable, issu d'une famille Lorraine de
9 enfants.
Dés l'âge de 16 ans il comprends
que les évenements qu'il est en train de vivre sont
historiques. Nous sommes en 1914 à Chambrey, un
village Lorrain situé sur la frontière Franco-allemande de 1870. Il décide donc
de décrire avec les moyens dont il disposent, soit sur
un papier trés fin et au crayon les évenements qui se déroulent sous ses yeux. Il se fait
journaliste, mais son manuscript ne sera exhumé
d'archives familiales que 80 ans plus tard, pour être publié ici. Nous avons
illustré le récit des cartes photos découvertes dans le même dossier ainsi
que de cartes postales de Chambrey du début du
siècle.
En 1939 il
renouvelle ce travail lors de la deuxième guerre mondiale, son récit nous
conduit à Caylus (Tarn et Garonne) ou la population de Chambrey
a été expulsée. (Publication prochaine).
GUERRE 1914-1918
à Chambrey (Moselle)
Par Hubert OFCARD
(1898-1960)
Chambrey en 1904 CP:Hartmann
Situé à
l’extrême limite de la Lorraine annexée par le traité de Francfort, ancien
département de la Meurthe, ce village frontière comprenait 850 habitants en
1914 avec une saline, diverses Agences en Douane, une gare avec buffet et
marquise, Bâtiment de la poste, Bureaux de douaniers, Gendarmerie.
La gare en 1907.
Les bruits de guerre se répandent en Juillet 1914 dés
l’assassinat de l’Archiduc d’Autriche à Sarajevo (en Serbie) héritier de la couronne
d’Autriche. Les troupes allemandes en Alsace-Lorraine sont en état de guerre,
la censure est appliquée, l’or est remplacé dans les caisses d’Etat par des
billets.
Le jeudi 30 juillet un ordre de réquisition est donné et porté par les
gendarmes aux sieurs Drouin et Münch qui furent
chargés de porter les ordres de mobilisation. Des chasseurs à pied (Feldjaeger) et des Uhlans (lanciers à cheval) font les cent
pas à la gare et sur la route nationale au pied de la côte de Moncel, non loin de la frontière et vont en reconnaissance
sur différents points. Des voitures avec des fagots et des machines agricoles
barrent la largeur de la route de la gare au croisement de la route de la gare
n°140 (face au sentier de la chapelle St Roch). L’état de guerre est déclaré le
vendredi 31 juillet à son de caisse vers 10 heures du soir.
On ne peut se faire une idée de la terreur des habitants après une telle
publication à une heure si tardive, car la plupart goûtaient un repos bien
mérité à cette période de la moisson. Car, malgré la rumeur qui circule en
pareil cas, la population laborieuse Lorraine de Chambrey
avait à cœur de couper les blés dont la récolte magnifique était au dessus de la moyenne. Journellement la population,
occupée aux travaux de la moisson, est alertée à différentes reprises par son
de caisse.
Le Samedi 1er août la population est avertie dans la
soirée et à son de caisse en allemand et en français, que la mobilisation est
ordonnée. Les hommes touchés par l’ordre de mobilisation rejoignent à pied ou
en voiture les casernements ou corps de troupe auxquels ils sont
affectés : dépôt du Recrutement de Forbach. Les trains ne circulaient
plus.
Journellement des patrouilles de Uhlans, logés au
village, vont en reconnaissance vers Pettoncourt et
la ferme des Ervantès.
Le dimanche 2 août au matin, les hommes et jeunes gens frappés par le
deuxième jour de mobilisation rejoignent également leur dépôt de mobilisation ou
corps de troupes, comme bien l’on pense ces départs donnèrent lieu à des scènes
touchantes de la part des hommes, femmes et enfants car ces hommes allaient
être enrôlés dans des corps de troupes étrangers et beaucoup ne comprenaient
pas ou très peu un mot d’allemand. La messe sonne, quel vide à l’Eglise,
surtout du côté des hommes, Monsieur l’Abbé Lebdorff
en termes touchants, et dont l’émotion est visible essaye de consoler ceux qui
pleurent le départ d’un mari, d’un père, d’un fils ou d’un frère.
Entre 7 et 8 heure du matin du dimanche 2 août les troupes font sauter
l’aqueduc du chemin de fer près de la centrale électrique (entre le pré de Nayémoine et le petit Rayeux), de
même fut détruit le pylône alimentant la ligne de St Nicolas non loin de la
centrale électrique de la Houve de Creutzwald (prés Carling) en Moselle. Au
matin à la première heure, les chevaux classés bon pour l’armée sont conduits à
Brulange.
Alors que la population assistait à la grand messe, l’ordre arriva de l’armée, de faire
évacuer les vaches. Dès la sortie de la messe les gendarmes, allemands bien
entendu, vont de maison en maison pour faire exécuter les ordres, et malgré les
récriminations des habitants. Un gendarme répond : "Que voulez-vous,
Madame je n’en suis pas la cause ". Une vache laitière est laissée
par famille. Les gendarmes aidés des troupes allemandes poussent le bétail vers
Brulange. (Nous apprendrons par la suite que les
propriétaires, après la bataille du Grand Couronné, eurent la faculté d’y
rechercher leur bétail. On imagine la difficulté des propriétaires pour
reconnaître leurs animaux parmi des milliers de bêtes).
De nombreuses familles allemandes, indésirables ou suspectes bien entendu,
venant de France, passent la frontière depuis plusieurs jours pour rentrer en
Allemagne. On aurait cru une équipe de nomades, ces pauvres expulsés, égarés
avec femmes et enfants, que la guerre commençait à charrier en divers lieux.
Les patrouilles allemandes continuaient la reconnaissance du terrain sur le ban
de Moncel du côté de la gare. La laborieuse
population occupée aux travaux de la moisson rentrait pour le repas de midi,
malgré le nombre de kilomètres à parcourir, parfois depuis les champs de la
culture de Fresnes (récolte des blés).
Le lundi 3 août à la fin de la matinée une patrouille de
Uhlans, un lieutenant en tête, part en direction de Moncel.
Ce n’est pas sans frissons que la population voit disparaître la silhouette des
lanciers en haut de la côte de Moncel pensant à la
rencontre qui devait obligatoirement surgir avec les avant-postes français. En
effet dans la forêt de Vélaine (à 13 km de la
frontière) les dragons français du 12ème régiment veillaient eux
aussi pour protéger l’Infanterie rassemblée dans la forêt de Champenoux. Le lieutenant Bruyant du 31ème
Dragon français trancha la gorge du lieutenant Dielhen
de la patrouille allemande. A l’appel du soir, manquaient le lieutenant de Uhlans et deux hommes.
Le lendemain matin revint sans sa monture le sous-officier, blessé au
visage et dont le cheval avait été tué. Mme Clauss
née Perrin Marie prodigua les soins que nécessita la blessure. Le blessé fut
évacué sur l’hôpital de Morhange. La frontière venait d’être franchie avant
la déclaration de guerre par les Allemands.
Des bons de pains furent distribués par famille, sa mixture contenait l’on
ne sait quel produit, à couleur de pain d’épice.
Lundi 3 août vers 3 heures de l’après-midi une patrouille de cyclistes
allemands revint de Pettoncourt, où elle était allée
par la gare(RN 74), tôt dans la nuit, vers 1 heure.
Elle y vida les boîtes aux lettres de Moncel ;
envahit le bureau de poste de Moncel, s’empara des
dépêches etc., et après avoir mis appareils télégraphiques et téléphoniques
hors d’usage, revint dans son casernement. Comme ils étaient heureux de montrer
leur butin en traversant le village de Chambrey !
Les 4 et 5 août intense circulation de patrouilles allemandes composées de Uhlans et de chevau-légers. Les habitants continuent la
moisson des blés, les vieillards ont pris la faux, les enfants et les femmes,
la faucille. Parfois des alertes données par le roulement de tambour de
l’appariteur du village M. Bailly et ce sont les enfants, depuis les champs,
qui vont aux nouvelles annoncées. Parfois même l’on entend des appels de
personnes ou d’enfants qu’il va falloir évacuer et les habitants occupés aux
champs quittent leur chantier pour aller recueillir des nouvelles au village.
Malgré tout il fallait faire le travail des absents. Ces faits se produisent
jusqu'à trois fois par jour. On constate ainsi que le Lorrain dans la peine
sait contenir son émotion sans se lamenter.
Le jeudi 6 août au soir on aperçoit une patrouille française à cheval
approcher de la gare de Chambrey, débouchant de la
ferme des Ervantes. Celle-ci tira un coup de carabine
dans la direction de la gare, mais les allemands avaient évacués le terrain.
Le vendredi 7 août à la première heure, une patrouille du 5ème
Hussard traversa le village sabre au clair, au grand galop. Après s’être assuré
que les allemands avaient évacué le village, le 4ème Bataillon de
chasseurs à pied de St Nicolas fait son entrée dans le village. Une partie du
Bataillon est répartie à la gare, au Château, à la ferme de Burthécourt.
Le trot et le galop légers des chevaux français ranimaient le coeur des habitants contre la lourde botte allemande.
Par ordre du capitaine de la compagnie de chasseurs, M. Trinson
commande les rations de café nécessaires aux hommes de sa compagnie, au café du
village.
C’est alors que vont commencer pour la population les péripéties de la
guerre.
Sont emmenés comme otages : Messieurs Dosdat
Charles instituteur - Robin Paul géomètre du cadastre, gendre de M. Cherrier, maire - Zabel Joseph
(Colin), - Loridant Joseph et Goury
Charles.
Ces cinq personnes furent conduites à la ferme de Haut de Cabart.
Le lendemain M. Valzer Emile de la ferme de Haut
de Cabart, son épouse née Zélie Blampied
et leurs deux filles Mmes Bousse et Schuz furent également emmenés comme otages avec les cinq
personnes précitées vers l’intérieur de la France. Ainsi va commencer le calvaire
des habitants des pays frontière, surtout pour ceux des écarts et des fermes
isolés. Le buste de Guillaume II fut enlevé de la mairie.
Ce 7 août, M. Bailly bat le tambour vers 11 heure (entre deux chasseurs
baïonnette au canon) en annonçant que l’Allemagne venait de déclarer la guerre
à deux grandes puissances : la France et la Russie, puis cria
" Vive la France, vive la République ".
Des postes de sentinelles furent installés à chaque entrée du village. M. Thiriet Julien (fils) de la ferme de Merlinsol
était descendu au village pour rentrer des récoltes avec ses voitures. Le poste
ne le laissa pas entrer à la ferme. C’est son père qui, inquiet était venu au
village avec un domestique (Odille Joseph),
rentrèrent les attelages à la ferme. Le fils put rejoindre la ferme le soir,
après que le poste se fut retiré vers la gare (les troupes françaises venaient
le matin au village et retournaient pour la nuit à la gare). Une sentinelle se
trouvait sur le pont de la Seille.
Le samedi 8 août au début de l’après-midi, ordre est donné aux habitants
par l’appariteur de fermer portes, fenêtres, volets avec défense absolue de
regarder dans la rue. Il était à se demander quelle surprise réserverait cette
journée. Si c’était la dernière journée de notre existence, sûrement que très
peu de Saints du paradis ont été invoqués pendant ces quelques heures.
Pendant ce temps, tout le mobilier de M. Robin Paul (géomètre du cadastre)
fut jeté par les fenêtres et brûlé devant la maison.
Ce même après-midi, les troupes françaises incendièrent la saline
construite vers 1885-1887 (usine qui occupait en moyenne 35 hommes du village
et de Vic). Quelques travaux de déblaiement ont été effectués après la guerre,
de même la remise en état des sondes au lieu-dit " Bas des Prés ".
Les trois autres sondes furent abandonnées. Le réemploi du reliquat des
dommages de guerre s’est effectué dans une même usine à Sarralbe.
La gare et la saline avant 1914.
Cp Hartmann
La saline de Chambrey.
Le fils Scherfin venant de Salonnes
et n’ayant pas répondu aux sommations fut tué. Un Uhlan habillé en civil tira
sur un hussard français qui fut tué sur le coup, ce dernier portait un pli au
commandant des chasseurs cantonnés dans le village. Après s’être évadé de la
saline, ce Uhlan fut tué à coups de revolver par un
lieutenant dans la caisse à ordures de la gare où il s’était réfugié.
Les français croyant alors avoir à faire à un habitant du village, résolurent
de brûler le village, mais se rendirent bientôt compte qu’il s’agissait d’un
Uhlan en civil.
Ce jour même fut brûlée la maison du "Pont des Mort ". Un
sergent français du 4ème bataillon de chasseurs fut tué par un Uhlan,
caché dans le dit bâtiment. Ce sergent fut enterré au cimetière communal.
D’autres soldats français furent inhumés dans le nouveau cimetière, voir photo
n°6. Ce n’est que vers 5 heure du soir que les habitants furent autorisés à
sortir dans la rue, et chacun de commenter à sa façon, les évènements de
l’après-midi. Beaucoup avaient pu suivre des yeux, à travers les lames des
persiennes, le spectacle de la destruction.
Photo 6: Vue du cimetière
Le dimanche 9 août au matin, les patrouilles qui journellement
prenaient leur poste aux deux extrémités du village, avançaient baïonnette ou
canon, dont un chasseur sur chaque côté de la rue, et les autres hommes de la
patrouille avec sergent, au pas de chasseur sur la route. Un jeune homme du
village se rendait à l’église, pour assister à la messe. Arrivé en face du
café-boulangerie Colin, le sergent de la patrouille l’interpelle en lui
demandant où il allait. Après avoir exposé les raisons de sa sortie, le sergent
lui répondit qu’il s’y rendrait une autre fois et le pria de les suivre et fut
conduit sous bonne escorte chez ses parents. Au même instant, une brave femme
s’avise d’ouvrir sa fenêtre et s’empresse de demander s’il fallait fermer les
volets ?. A peine a t-elle
achevé sa demande, qu’elle reçoit comme réponse : " Fermez
vos volets nom de Dieu ". Ce même jour Mlle Louise Thiriet était descendue de la ferme de Merlinsol
aux approvisionnements au village et fut libérée après avoir subi un
interrogatoire au poste du 4éme Bataillon de Chasseurs à la sortie
du village vers Pettoncourt. Ce fut la dernière
journée du 4ème Bataillon de Chasseurs à Chambrey.
A l’arrivée du 146ème Régiment d’Infanterie de Toul, le
lendemain 10 août, les chambreysiens éprouvèrent une
grande satisfaction. Les chasseurs avaient pris de l’avant : tout en
proclamant le pays occupé comme reconquis, nos braves chasseurs se montraient
très méfiants, à la surprise des habitants, car ces derniers n’avaient fait
preuve d’aucune hostilité à leur entrée. Les habitants purent jouir d’un peu
plus de liberté après la venue du 146ème. Il
furent autorisés de se rendre aux champs quelques heures, dans
l’après-midi (200 m du village environ côté Nord) sans toutefois dépasser la
crête à hauteur du chemin du Moulin à Vent: Derrière les jardins. Le Plumeau et
Derrière les jardins Nord, car plus avant vers la forêt de Fresnes, il y avait
constamment des rencontres de patrouilles françaises et allemandes. Alors que
les chasseurs retournaient pour la nuit à la gare, le 146ème
cantonnait chez les habitants.
Pendant ce temps il n’y avait plus de pain au village, la provision de
farine du boulanger Colin, était épuisée. Profitant de ce qu’ils pouvaient
rentrer un peu de blé, les habitants procédèrent au battage de quelques gerbes
de blé. Mais il n’existait pas de moulin et il fallait moudre le grain avec des
moulins à café pour obtenir de la farine. On peut se faire une idée du
résultat, car il fallait trier les impuretés sur une table. Nombreux aussi
furent ceux qui faisaient moudre le grain au concasseur de M. Saffroy Bouchy. Jugez de la
qualité du pain qui contenait autant de son que de farine, mais l’on était
content de pouvoir manger du pain.
Les soldats du 146ème aussi heureux que les enfants faisaient
chanter par ces derniers la Marseillaise à pleins poumons et s’amusaient à les
faire chanter en allemand.
Un matin, nouvelle alerte à l’extrémité du village vers Pettoncourt.
Un point noir avait été aperçu au tournant du chemin du Moulin à Vent. La
patrouille composée d’une dizaine d’hommes s’avance et s’installe à plat ventre
sur la berge du fossé, l’adjudant ordonne feu à trois reprises et avec ses
jumelles, se rend compte que l’objet visé ne bouge pas. Il commande deux hommes
pour s’assurer de l’objectif, quelle surprise......le point noir n’était autre
qu’un fût vide de 200 litres en fer, abandonné par les électriciens.
A la tombée de la nuit des étincelles s’échappent par intervalles des
cheminées. Les soldats sont alertés, craignant que des signaux fussent fait au-dessus des toits pour renseigner l’ennemi. Au même
instant une pierre surchauffée provoqua un éclatement, il s’ensuivit une vraie
panique, l’on venait de tirer, etc. etc.
La journée du 11 août se passe dans un grand calme. Sauf vers la Marchande
(une ferme) et dans la forêt de Fresnes, où se produisirent des rencontres de
patrouilles. Vers la Marchande, le sergent Chamont du
146ème Régiment d’Infanterie est tué non loin des carrières, de même
un gendarme allemand.
Le 12, réserva quelques surprises aux habitants. La ferme de Merlinsol, déjà incendiée le 3 avril 1883 et à nouveau en
1893 le deuxième dimanche d’octobre (jour de la fête à Fresnes), allait à
nouveau subir le même sort. D’après la version des fermiers, M. R. Thiriet, une patrouille de Uhlans était masquée derrière le
bosquet lorsque survint de la direction de Pettoncourt
(vers la ferme) une patouille du 163ème Régiment d’Infanterie. Un
homme de la patrouille française fut tué, le reste de celle-ci retourna vers Pettoncourt et un important détachement vint occuper la
ferme. A la demande du commandant du détachement à M. Thiriet,
s’il existait des allemands, on comprend la stupeur de ces braves gens, en
entendant que si un allemand était découvert, il serait fusillé avec sa famille
et les domestiques. Après avoir été conduits et escortés jusqu'à la fontaine et
ramenés devant la ferme, ils furent fouillés et dépouillés du contenu de leurs
poches. C’est alors que commença la visite de tous les bâtiments, de la cave au
grenier et de la propriété de M. Bour. A la satisfaction et des français et des
fermiers il ne se trouvait aucun soldat allemand. Il aurait pu en être tout
autrement en raison des nombreuses issues du côté de la forêt, des allemands
pouvant s’introduire dans les bâtiments à l’insu des fermiers. (On peut se
faire une idée de la situation et des dangers auxquels étaient exposés les gens
des pays frontière). On ne saura jamais les souffrances physiques et morales
qu’ont endurées tous ces braves Lorrains.
Autorisation est donné au fermier de chercher ses papiers et son argent.
Les soldats après avoir demandé du pétrole et des allumettes à M. Thiriet, le feu fut mis à la ferme. Tout le bétail périt
dans les écuries : 4 vaches, 1 taureau, 25 chevaux et poulains, porcs et
volailles. Pour éviter que les allemands puissent récupérer du bétail, il n’a
pas été donné suite à la demande de M. Thiriet (fils)
de lâcher le bétail. Seuls deux chevaux qui étaient dans les parcs à pâture
furent recueillis par les habitants et remis après guerre
à leurs propriétaires. M. Thiriet, sa femme, sa
fille, son fils, ainsi que le domestique Odille
Joseph de Chambrey, furent emmenés comme otages à
l’intérieur de la France. Ils furent rapatriés en 1918 en Lorraine à la suite
des accords et échanges intervenus entre la France et l’Allemagne mais ne
purent se fixer à Chambrey, dont le village avait été
évacué.
131ème R.I allemand à Morhange le 10
avril 1914.
Dans l’après-midi un soldat du 146ème Régiment d’Infanterie, est
blessé à la crête du Moulin à Vent par une patrouille de
Uhlans. Il fut impossible de relever le blessé avant la tombée de la
nuit, un brancardier muni de la croix rouge est blessé lui aussi, ici comme
ailleurs, on peut juger de la mentalité allemande. Le même jour à minuit, le
146ème Régiment d’Infanterie quitta le village vers la Marchande et
Fresnes.
Il fut remplacé, le lendemain 13 août, par le 126ème
Régiment d’Infanterie de Poitiers qui se dirigea vers la forêt de Gremecey et Fresnes après avoir cantonné deux jours au
village. Il ne restait plus, que quelques patrouilles de hussards. Les fûts de
vin de la Compagnie Chamant furent défoncés par les soldats . Il existait en effet un entrepôt de vin à la
gare appartenant à M. Chamant de Vic, pour les
formalités en douane. Des habitants firent une provision de ce précieux nectar.
M. l’Abbé Scharff, curé de Chambrey
sur la route de la gare invectiva les personnes qui faisaient une provision à
bon compte les incitant à s’abstenir de tels procédés. Des femmes pleurent et
demandent pardon.... Les personnes dont il s’agit furent obligés
de payer ce vin après la guerre. Les familles étaient sans nouvelles des
absents de part et d’autre.
Pendant l’avance des troupes françaises sur Morhange, le village connaît un
calme absolu. Les habitants s’empressent de continuer la moisson. Hélas ce
calme ne devait durer.
Les 15 et 16 août, on entend le canon du côté de Dieuze. C’est un
roulement continuel.
Les 18, 19 et 20 août se déroule la grande bataille entre Sarrebourg-Nomeny.
Le 20 Août revenaient en débandade par le chemin de la Reine et la route de
Château-Salins des rescapés de la terrible fournaise qui venait de s’engager
devant Morhange et Marthille. M. Blaisin
criait à tue-tête en traversant le village " Vive la
France ". Des soldats du 146ème Régiment d’Infanterie, qui
avaient cantonné dans le village, il y a quelques jours, traversent notre
village pour se regrouper au pied de la côte d’Amance
pour la bataille du Grand Couronné. Les ambulances et voitures de
ravitaillement traversent eux aussi la Seille. L’on apprend que le général Wirbel est grièvement blessé. Un régiment de Dragons
cantonne au village dans la nuit du 20 au 21 août et quitte son cantonnement
avant l’aube.
1ére section Française de la 11ème
Cie du 69ème R.I.
Dans la matinée du 21 août quelques blessés valides, après avoir
rassemblé leurs forces, traversent eux aussi la Seille pour ne pas tomber entre
les mains des Allemands. Des femmes pleurent et offrent du lait ou du café à
ces pauvres êtres exténués de fatigue. A peine les derniers blessés français
avaient-ils franchi le pont de la gare et la passerelle sur la Seille
" en Nayemoine" que les premières
patrouilles de chevau-légers allemands traversent le village au galop venant
par le chemin de la Reine. Après avoir observé le départ des derniers français
par la prairie, elle revient près de l’église, il était environ quatre heure du soir. C’est alors que commence pour les habitants
une nouvelle vie d’angoisse. L’entrée des troupes françaises au début du mois,
avait provoqué chez les habitants le bonheur de pouvoir converser dans leur
langue maternelle car, malgré l’annexion, le français restait leur langue
maternelle. Seuls les enfants parlaient allemand et les personnes ayant appris
l’allemand à l’école depuis 1870, s’ils comprenaient assez bien cette langue,
ne la parlaient pas couramment. Les français firent sauter le pont de la Seille
de Burthécourt.
Pendant toute la journée du 22 août, c’est un passage continuel de
troupes, canons, cavaliers etc. équipements et harnachements flambant neufs. Il
en vient par toutes les routes et tous les chemins (route de Château-Salins et Pettoncourt, chemin de la Reine, chemin du Moulin à Vent).
Les habitants chuchotent entre eux " il doit en sortir de
terre ". Ce sont des troupes des 15ème et 16ème
corps. Un général est placé au carrefour de la route allant à la gare. Celui-ci
est amputé d’un bras et indique aux troupes, la direction à prendre. Pendant
plusieurs jours, le village est envahi par une masse de soldats, de toutes
armes. Les granges et écuries sont réservées aux chevaux. Le reste des
bâtiments libres est occupé par les soldats allemands. Ceux-ci vont jusqu'à
démonter les portes, persiennes et volets. Les chefs et les soldats sont d’une
telle exigence que c’est à grand peine si chaque famille peut garder une
chambre à sa disposition. Les alentours du village (côté de Salonnes,
Fauchivy, autour de la ferme de Haut de Cabart, sous les Ervantes, côté
de Pettoncourt, prés du
Château et vers le Moulin à Vent) sont noirs de troupes. D’une audace et d’une
gourmandise sans pareilles, les habitants autant qu’il leur est possible, font
la chasse à ces " hobereaux " jusqu'à les dénicher des
arbres fruitiers, non sans entendre certains propos tels que Franzosen Kopf, etc. Vraiment,
les habitants songeaient encore à l’occupation par les français, ces derniers
se conformaient aux ordres formels, ce n’est qu’avec l’autorisation des
propriétaires qu’ils goûtaient aux fruits. La population vit dans une terreur
continuelle.
Le dimanche 23 août on vit dans une panique peu commune. M. Jules Jimont (ou TIMON ?) vient d’être arrêté.
Enfermé dans la cave de la maison d’Ecole, qui servait de prison, un conseil de
guerre vient de condamner à mort ce vieillard. Dans la matinée, M. Bailly,
appariteur annonce en français, la condamnation de M.Jimont.
Il est accompagné d’un sous-officier qui traduit l’annonce en allemand. Ce
vieillard a emporté dans la tombe le secret de cette condamnation. Il fut
impossible d’obtenir des précisions sur son motif. La déclaration faite au
registre de l’Etat Civil ne mentionne rien de spécial sur cette condamnation.
Un état-major comprenant plusieurs généraux et de nombreux officiers, cantonne
au village. L’église aussi sert de cantonnement aux troupes. Les bancs sont
démontés et l’on aménage la nef pour recevoir les blessés. Comme bien l’on
pense, très peu d’habitants assistaient ce jour à la messe. M.J.Jardin
de Château-Salins fut chargé par la Préfecture de s’occuper du greffe avec M.Chérier.
Le lendemain 24 août commencent les premières phases de la bataille de Champenoux, le bruit du canon se fait entendre et l’on distingue
le roulement sourd de l’artillerie du fort d’Amance.
C’est la bataille qui va durer jusqu’au 12 Septembre. Au Rupt-Buché
et aux Ervantés sont installés deux ballons captifs.
Toutes les routes sont encombrées par les convois. Les civils peuvent difficilement
circuler sur les routes avec des voitures. Les habitants sont réquisitionnés
pour le transport des vivres, munitions et blessés, et vont être exposés aux
dangers comme les soldats jusqu'à Mazerulles. Aucun
ne voulut quitter son attelage. Des troupes qui avaient cantonné et prirent
part à la bataille, revinrent en cantonnement au village. Ces hommes étaient
déprimés et ne pût croire que l’on puisse engager des hommes dans un tel
carnage. Pendant des nuits entières, le bombardement vers le Grand Couronné
n’était qu’un roulement et le ciel du côté de la bataille n’était qu’un feu.
Les habitants ne pouvaient sortir, obligés de garder leur maison.
La moisson ne pouvait s’achever et les récoltes restèrent dans les champs.
Les avoines (saisons de Salonnes *) étaient en grande
partie saccagées par les troupes. Pendant ce temps on manquait de pain au
village, de même le café et le sucre faisaient défaut. Comment s’approvisionner
à Château-Salins ou à Vic, les routes étant envahies par les troupes ? Les
enfants de 12 à 16 ans se hasardaient à se rendre à Château-Salins avec des
voitures d’enfant pour chercher du pain à la Sous-Préfecture.
* NDLR : La terre arable (celle qu’on laboure) est divisée en
trois parties appelées " saisons ". Une partie portera le
froment (le blé), l’autre de l’avoine ou de l’orge, et la
troisième reste en jachère pour se reposer. L’année suivante le cycle
recommencera. (Cf René BASTIEN - Histoire de la
Lorraine- Editions Serpenoises- METZ 1993)
Les 9, 10 et 11 septembre, la bataille fait rage.
Le 12, les allemands battent en retraite.
Le dimanche 13, il reste très peu de troupes au village. A la messe
(fête de la Nativité) les habitants sont nombreux ; il n’y a pas eu autant
de fidèles le dimanche depuis le 2 août. Les blessés nombreux sont couchés sur
des matelas, installés dans la nef, et c’est au milieu d’un va et vient dans
l’église, que l’on assiste debout, sous les tribunes, dans le choeur et l’avant choeur à la
messe, célébrée par M. l’Abbé Scharff. Les derniers
convois allemands quittent le village vers midi. Un calme complet règne au
village. Il ne reste qu’une patrouille circulant dans la contrée, les troupes
françaises avancent non loin de la gare. Les allemands font sauter le pont de
la Seille sur la route de la gare. C’est dimanche et tous s’empressent de
chercher des pommes de terre et du pain et faire un tour du ban pour se rendre
compte des dommages causés par la troupe.
Les blés restés ont germés, des avoines qui n’ont pas été saccagées
(piétinées par les troupes) le grain est tombé et l’on ne pourrait récupérer
que la paille. Les nombreux piquets de clôture en bois sont enlevés et ont
servi pour les cuisines. Les perches à houblon sont également en partie
enlevées et il en restait très peu dans les fonds du Majurin
et de Chaphaie.
Mentionnons qu’il existait sur le ban de Chambrey
en 1914 prés de 20 ha de houblon. La cueillette a été
faite par quelques propriétaires seulement, la récolte était au dessus de la moyenne. Dans les vignes, dommages
insignifiants, ajoutons que les côteaux allant des Malichamps par les Crépons, les Bellevues,
Fontaine le Meunier, Danirey-Doyenneries, étaient
plantés en vignes, très peu aux vignes Lassieux et à
la Reine. La récolte était médiocre et en raison des pluies continuelles de
septembre, la maturation n’a pu se faire dans de bonnes conditions. La
vendange, l’arrachage des pommes de terre et les semailles se font en toute
tranquillité, de même la fenaison des regains. Le pont de la Dessus que les
allemands avaient fait sauter ne permit pas aux habitants de couper les
regains, dans cette partie de la prairie, il fallut se contenter de la récolte
du côté de Pettoncourt à partir de la route de la
gare. Exposés à la vue des français qui avaient pris position sur les hauteurs
du Ramont (entre Moncel et Mazerulles) les habitants vaquaient en toute tranquillité,
aux travaux des champs. (sauf pour les fanes de pommes de terre qu’il est interdit de brûler). M.
Alexandre, un brave de 70 ans, conduit les travaux des champs énumérés
ci-dessus.
Le village est occupé par des troupes du 8ème Régiment
d’Infanterie Bavarois qui occupent tantôt les positions des hauteurs de St Roch
tantôt des Ervantes. Ces troupes vont en repos à
Château-Salins et à Coutures et la relève s’opère ainsi tout l’hiver jusqu’au
début avril 1915.
Carte écrite le 31 Mars 1915 à Château-salins,
officiers du 8ème Régiments d'Infanterie Bavaroise.
C’est un calme absolu au village pendant l’hiver, les hommes peuvent s’occuper
en forêt pour les provisions de bois de chauffage. Nous apprendrons par la
suite, que ce bois est resté en grande partie sur place. Une batterie contre
avion est installée au lieu dit " Long sur
les Vignes Lassieux " et reçoit à peine
installée le baptême du feu de l’artillerie lourde française. Pendant tout
l’hiver il fallut prendre mille précautions pour masquer les lumières et c’est
au prix de nombreuses difficultés que les habitants y parvenaient, les volets
des persiennes ayant été enlevés. Pendant l’hiver une compagnie du Génie
(Pionnier) loge chez les habitants. De nuit ils vont vers les Ervantes, Pettoncourt, installer
des réseaux de barbelés.
Le travail se fait de nuit à proximité des lignes françaises. Parfois les
troupes apercevaient depuis leur position des Ervantès
une lumière quelconque ou un reflet, un coup de téléphone est donné au poste
installé au village et alors commence une minutieuse enquête et parfois la
patrouille frappe aux fenêtres où perce une petite clarté, avec la crosse du
fusil et dit d’un ton qui ne se le fait pas répéter " Lichter-Weck " (enlevez, camouflez les lumières).
Les allemands emmènent comme otages les sujets français restés au village. MM Bigare Jean-Baptiste, Génin
Auguste, qui furent internés au camp de Olimpré
et rapatriés par la suite en France. La famille Valzer
de Haut de Cabart, est rapatriée par la Suisse, mais
il lui est défendu d’habiter la ferme. M. Valzer
obtient néanmoins l’autorisation de récupérer ses papiers cachés à la ferme et
M. Cherrier maire accompagné de deux personnes ont la
bonne fortune de découvrir les précieux documents déjà quelque peu endommagés,
la ferme était le refuge de nombreux soldats et chevaux. Les villages de Pettoncourt, Attilloncourt et Bioncourt sont sous un bombardement journalier.
C’est en février 1915 que les premiers obus tombent sur le village
de Chambrey. Les maisons de M. Blavier
Nicolas, rue Chaude, non loin de l’église et de M. Blampied,
deuxième maison à gauche à la sortie du village vers la gare sont les premières
atteintes. A partir de ce jour il fallut prendre mille précautions pour n’être
pas vu dans les champs par les français. Quelques jours après, quelques obus,
sont tirés sur des attelages à la charrue, côté nord derrière le village. Les
hommes détellent les chevaux et c’est un sauve qui peut, les chevaux d’un
côté ; les hommes de l’autre et si les chevaux arrivent les premiers à
l’écurie (les hommes s’étant abrités on ne savait où) on se demande ce qui est
arrivé. Même spectacle quelques jours après sur un attelage à la charrue prés du Château.
Cette fois un obus tombe sur la maison Sibille non loin de la fontaine
" La République ". A partir de ce jour, impossible de
travailler de jour, sauf dans les endroits masqués aux français. Force fut donc
de travailler la nuit. Piocher, bêcher, labourer, semer et planter, jugez du
travail et du courage. Planter les pommes de terre, tailler la vigne, la nuit,
c’est chose impossible direz vous, il en fut pourtant
bien ainsi, pendant plus de deux mois.
Fin mars 1915 revenaient de la charrue M. Fauconnier avec son commis M.
Humbert Charles, tous deux à cheval. Arrivés à l’entrée du village sur la route
qui va à Salonnes, à la sortie de la route de la
Reine (face à la maison Lorette et la Mairie-Ecole) un obus éclate devant les
chevaux, en tue deux et c’est par miracle que les deux hommes sortent indemnes
de cette catastrophe. Des personnes se sauvent jusqu'à la route de Salonnes abandonnant leurs chaussures.
Le 22 mars, par un beau soleil de printemps, tous les habitants
étaient occupés dans les jardins et dans les vignes. Dans l’après-midi, un obus
éclate dans le jardin de M. Depardieu Léopold. Mme Depardieu Hermine née
Clausse, occupée à bêcher est tuée, son fils Jules qui se trouvait à ses côtés
est blessé au bras droit, blessure qui nécessita son transfert à l’hôpital de
Château-Salins. Cette blessure a occasionné une infirmité. Mme Depardieu veuve
née Huver grand-mère de ce dernier, qui se trouvait à ses côtés, sort indemne.
Des cris furent entendus jusque dans les vignes des Bellevues Danirey.
Dans l’après-midi du 17 avril conversaient paisiblement dans un
couarail traditionnel, MM Henriot Emile, Saffroy Charles, Messein Léon, Titure
Camille et Gaston Jardin, faisant fonction de secrétaire de mairie. Les bons rayons
du soleil obligeaient ce jour même à sortir des maisons. M. Lebègue Jules
s’approche du groupe se trouvant sur un banc devant la maison de L.
Brigent-Messin. Un obus éclate non loin et c’est miracle qu’il n’y ait pas de
mort à déplorer. M. Titure blessé grièvement à encore la force de se rendre
dans la cour de L. Brigent où il s’évanouit. M. Messein Léon est blessé à la
tête et fut trépané. M. Lebègue Jules grièvement blessé à la cuisse est
transporté à l’hôpital de Château-Salins ainsi que M. Henriot Emile blessé à la
main droite qui est resté paralysée. L’ordre de l’autorité militaire est donné
par la Sous-Préfecture d’évacuer le village pour le 31 mai. Malgré le danger
auxquels ils étaient exposés, les habitants tentent une démarche à la Sous-Préfecture
de Château-Salins (Kreis-Direktion) et M. Cherrier, maire en tête de la
délégation, est reçu par M. Back, Kreisdirektor. Sur l’insistance de la
délégation, le Sous-Préfet, déclare que l’ordre est donné par l’autorité
militaire et que si des accidents aussi graves que ceux signalés survenaient,
l’administration déclinerait toute responsabilité. Il fallut donc se résigner à
quitter à contrecœur, maisons et terres. M. Cherrier donna sa démission en
raison de son âge, M. Saffroy Bouchy assura les fonctions de maire. Tout l’Etat
Civil des communes dévastées ainsi que toutes les archives sont emmenés à la
Sous-Préfecture de Château-Salins.
Eboulement de la sous-préfecture de
Château-salins en 1904.
Alors commence le déménagement de tout ce que l’on peut ranger. Des
voitures réquisitionnées par l’administration arrivent tous les soirs des
villages environnants. La répartition se fait par les gendarmes. Démonter et
charger des meubles en pleine obscurité, n’est pas chose facile. Les stocks de
fourrage n’étaient pas importants, n’ayant pu rentrer les blés et avoines, la
paille n’existait plus. Le calme revint au village, les bombardements avaient
cessé. C’est donc en toute tranquillité que s’opère le déménagement. Au matin
le convoi ressemblait à une caravane sur la route vers Château-Salins. Parfois
ceux qui évacuaient dans un village au delà de Château-Salins se voyaient
abandonnés par l’attelage du conducteur. Il fallait aller à la recherche de
chevaux et ce n’était pas chose facile. Très souvent l’intervention des
gendarmes et de la Sous-Préfecture était obligatoire.
Dans la nuit du 31 mai au 1er juin à minuit les
gendarmes obligèrent les quelques voitures en chargement à évacuer le village
et laisser tout le reste. Pendant quatre années et six mois, maisons et tout ce
que renfermaient celles-ci, restèrent la propriété des allemands.
Les habitants furent répartis dans les villages ci-aprés : Salonnes,
Vic/Seille, Moyenvic, St Médard, Ley, Maizières-les-Vic, Château-Salins,
Coutures, Gerbécourt, Vaxy, Vannecourt, Puttigny, Burlioncourt, Hampont,
Haboudange, Obreck, Château-Voué, Conthil, Pévange, Achain, Château-Bréhain,
Francaltroff, Insming, Nébing, Nitting, Vergaville, Guenestroff, Lachambre,
Frémery, Maizières les Metz, St Georges, Hargarten, Falck, Benestroff,
Sarralbe, Riche, Morville/Nied, Lancuveville en Saulnois, Haguenau.
1915 : Dans le courant d’Octobre les personnes
habitant les villages voisins de Chambrey obtiennent des autorisations pour arracher
les pommes de terre plantées sur le ban de Chambrey avant l’évacuation. A cet
effet il fallait un laisser-passer signé du général de
brigade cantonné à la Sous-Préfecture (Kreisdirektion) de Château-Salins et
devait être visé par le colonel du 60ème Régiment d’Infanterie
installé avec son Etat-Major au château de Burthécourt. Ce sauf-conduit ne
donnait pas l’autorisation de se rendre au village. Grâce cependant à
l’obligeance des soldats qui accompagnaient les civils (pour les aider et
surtout les surveiller) certaines personnes se hasardèrent à visiter le
village. La récolte était assez abondante, mais les soldats avaient déjà
commencé ça et là l’arrachage dans les champs hors de la vue des français.
Pendant ce travail d’arrachage, bien qu’exposé à la vue des français, pas
un coup de canon ou de fusil. Par un beau soleil d’automne, si ce n’était la
vue des soldats nul ne se serait crû à trois
kilomètres des lignes (à vol d’oiseau). Les maisons Houzelle, Gouvenez Auguste
(en face de la ruelle côté sud du village) non loin de la fontaine
" La République " furent incendiées par des obus. (Voir photo
N°1 ci-dessous)
Photo N°1
Le plafond de la nef de l’église était en partie détruit (voir photo n°2).
Cette vue donne une idée des beaux décors de l’intérieur de l’église réalisés
avant guerre, par M. l’Abbé Scharff aidé du Conseil de Fabrique.
Photo N°2
Jusqu’au 11 novembre 1918, défense absolue est faite aux habitants de venir au
village ou dans les champs, sur le territoire de Chambrey. De précieux renseignements
sont parfois fournis par les troupes aux habitants, évacués dans les villages
voisins, sur l’état du village.(Voir photos n° 3 et
5).
Photo
N°3
Photo N°5
En 1917, sans que l’époque exacte en soit toutefois connue, des
bombes incendiaires provoquent un incendie dans les maisons de MM Saffroy
Bouchy, Perrin Joseph, Houpin et Humbert Auguste. (Immeubles faisant angle avec
la ruelle en face la route de la gare en remontant vers l’église) voir photos
n° 7 et 8.
Photo
N°7
Photo N°8
La N°16 montre les cloches à la gare de Burthécourt enlevées en 1918 pour
servir à fabriquer des canons. Deux habitants soldats dans l’armée allemande,
vinrent en position dans les tranchées (bois de St Roch et côte de
Pettoncourt), MM Bailly Marcel et Ledig Joseph.
Photo N°16
Quelques jours avant l’armistice, les habitants évacués à Salonnes, Vic,
Moyenvic et Ley, sont obligés d’évacuer une seconde fois avec les habitants de
ces villages en raison de la grande offensive française qui se prépare sur
toute la forêt de Lorraine. Moins favorisés qu’au départ de Chambrey, ces
pauvres gens furent obligés d’évacuer dans un pays pour eux étranger :
dans le Palatinat-Rhénan, dans la région d’Idar-Oberstein. Triste spectacle à
la gare de Château-Salins lors du départ vers ces régions allemandes par trains
spéciaux.
Vint enfin l’heure de la délivrance, le 11 novembre 1918. Quelle
joie dans tous les coeurs. C’était la fin du cauchemar, la rentrée au foyer.
Mais à côté de cette joie, il fallait du courage pour surmonter les difficultés
qui allaient surgir, tout reconstituer pour mettre en état de productivité un
sol inculte pendant prés de cinq années et encore au péril de sa vie, car il
pouvait subsister dans le sol des obus non éclatés. Beaucoup d’obus ont été
remués mais, par un bonheur providentiel, aucun mort ou blessé n’est à
signaler.
Quelque jours après l’armistice les premiers
habitants arrivent au village. De loin le clocher détruit, photo n°5, annonce
un lamentable spectacle : A l’entrée du village on aperçoit le cimetière
militaire aménagé (emplacement du cimetière actuel). Les croix blanches
indiquent la sépulture des soldats français enterrés en 1914. Du côté gauche
l’emplacement où sont enterrés les soldats allemands.
Photo N°11 (CP
Librairie Eugène PIERRON Château-Salins)
La photo n°11 donne une idée de l’état des maisons Clausse, Humbert
(n°18-20 du plan). Les
herbes envahissent le sol.
La photo n°12
montre ces maisons après déblaiement des décombres.
En continuant dans le village la photo n°13 présente l’état des rues (vue prise
entre les maisons 22-24 du plan du village).
En examinant la photo n°14 (manque) on se croirait dans une ville
d’eau (dessin de la maison 37 du plan) située à droite venant de la gare.
Une tranchée comme l’indique la photo n°15 (trop sombre ne peut être
reproduite) longeait la route rue Chaude. Cette vue est prise près de la
fontaine " La République " vis à vis la maison n°143 du
plan.
Un abri en ciment, construit au milieu du village, prend la largeur des
rues entre les maisons n°115-108 du plan. Un même abri était construit sur la
route de la gare entre les maisons 37-43. Ces abris étaient érigés pour arrêter
l’éventualité d’une attaque de tanks. Il subsistait entre ces abris un passage
pour un piéton.
Le long de la route départementale n°140 (côté sud) existait un treillage
renforcé de roseaux d’une hauteur d’environ trois mètres. Les maisons dont les
numéros suivent sont en grande partie détruites, soit par bombardement, soit
par incendie (bombes incendiaires) de la rue Chaude avec point de départ du
quartier de l’église : n° 3, 4, 6, 8, 10, 12, 26 à 42, 72 à 78, 94, 120 à
134. (Le n°4 n’a pas été reconstruit et a fait l’objet d’une réutilisation dans
les bâtiments communaux dans de bonnes conditions, dont nous ne pouvons que
féliciter le conseil municipal de cette opération). N° 18 et 20 prés de
l’église de la rue Froide avec point de départ quartier de l’église. N° 17, 19,
103, 105 et 113.
Une tranchée d’au moins deux mètres de profondeur partait de la forêt de la
Baguenotte par Merlinsol, les Maies, le Ravin de la Grève, Haut de Talivan, le
Balaye vers la ferme des Ervantes (ci-dessous)
Ferme des
Ervantes
se
prolongeant vers les positions derrière la chapelle St Roch. Devant cette ligne
de tranchée un réseau de barbelé de quatre mètres de large. Des sapes et abris
en Haut de Talivan, aux Maies et au pourtour de la ferme de Merlinsol.
Des boyaux, sapes et abris : Au Bois le Prêtre, les Danirey, Bellevue,
Chaphain la Chef, en Brûlés, et Haut du Sahon, le Bosquet. Dans les forêts
d’importants abris en béton et tranchées, en particulier derrière la Chapelle
St Roch (vestiges qui rappelleront pendant de nombreuses années encore les
fléaux de cette guerre). La Fontaine Vassieux possédait un magnifique bassin à
sa source lequel a été démoli.
Dans la forêt des réseaux de fils de fer barbelés, des fils de toute sorte
sont cloués sur les arbres dont les traces subsisteront longtemps encore avec
ceux des éclats d’obus.
A la vue d’un tel spectacle, il fallait bien du courage pour tout remettre
en état.
Les maisons non endommagées par les bombardements sont encore habitables,
il subsiste malgré tout des dégâts de cantonnement. Les Lorrains expulsés
revinrent de leur domicile provisoire. Dans certains villages d’accueil
beaucoup partageaient la peine causée par l’exil. Pourtant la venue de ces
pauvres gens n’a pas toujours été bien accueillie lors de l’évacuation de 1915.
Quelques heureux de rester dans leur maison osèrent qualifier les expulsés de
fuyards.
Pour le retour il faut chercher des voitures pour transporter le peu qui
reste de ce que l’on a pu sauver en 1915. Très peu avait fait fortune pendant
cet exil. Des allocations d’évacuation avaient été versées aux familles selon
le nombre d’enfants. Les frais de transport pour ce retour ont été remboursés
certes, alors qu’en 1915 c’était l’administration qui avait pris la direction
et les frais de transport à sa charge.
Après les privations de l’exil, la consternation attendait le retour des
réfugiés. Dans les maisons où la masse des troupes et des prisonniers avait
cantonné, la plupart des portes et fenêtres avaient disparu. Il fallait se
mettre à la recherche de planches, portes et quelques vitres pour donner un
petit jour dans la maison. Il fallait voir ces encadrements de fenêtres faits
en planches avec une ou deux vitres au milieu. Il est vrai que ce rafistolage
était facilité par les stocks de toute sorte abandonnés dans les tranchées et
abris. Les gouttières ne manquaient pas non plus sur les toitures où l’on osait
se hasarder. Ceux qui avaient des pièces habitables libres les partageaient
avec d’autres dont l’immeuble était trop délabré.
Dés Janvier 1919, M LAMBERT Jules, encore en tenue de soldat (sergent)
est désigné instituteur à CHAMBREY. Natif de SISTERON (Basses Alpes), ce fut
vraiment le type débrouillard et actif. C’est ce qu’il fallait, mais il ne
mésestimait pas le travail qui l’attendait. Que de fois quittait-il sa mairie à
11 heure ou minuit pour y retourner le lendemain matin
à 5 heure. Une pièce fut aménagée pour la classe et l’autre servant de mairie.
En février 1919 M SAFFROY Charles (BOUCHY) qui remplissait les fonctions
de maire pendant la durée de la guerre, depuis la démission de M CHERRIER en
mai 1915 rentre lui aussi au village avec sa famille.
M l’abbé KREMER, nommé curé de SALONNES, était en même temps desservant de
CHAMBREY.
Un nombre important de prisonniers roumains et un groupe d’annamites
cantonnèrent dans les divers bâtiments de la gare au début de 1919. Des prisonniers
étaient mis gratuitement à la disposition des habitants, pour divers travaux de
défrichage de leurs terrains, déblaiements des décombres et divers travaux de
première urgence. L’inscription se faisait journellement au service militaire
local et tous les matins la répartition était faite suivant les demandes
formulées. Le gouvernement français montrait ainsi par là l’intérêt qu’il
portait à la reconstruction de nos régions dévastées. Au début du printemps, un
important groupe d’un régiment d’artillerie fut affecté au village. Des chevaux
et même des soldats furent mis gracieusement à la disposition des habitants
pour cultiver leurs terre, parfois avec des risques
car quelques obus non explosés se trouvaient dans le sol. Plusieurs
cultivateurs les ont même retourné avec leur charrue, mais il n’y eu pas
d’accident à déplorer.
On se rendra compte de la valeur de ces attelages, comprenant des chevaux
ou des mulets dressés à traîner des canons, caissons ou chariots, attelés à des
charrues, puisqu’il fallait parfois trois ou quatre hommes (autant que de
chevaux) pour diriger l’attelage. Il se passait parfois des scènes cocasses qui
avaient des ressemblances avec une charge de cavalerie.
Il n’était pas question d’organiser les cultures, chacun cherchant à ensemencer
les terrains les plus proches du village et dans les terres les plus faciles ou
les moins envahies par les buissons, rejets, mauvaises herbes.
Les archives de la commune qui avaient été entreposées à la Sous-préfecture
de Château Salins et, par la suite, à MORHANGE lors de l’évacuation de la
" Kreisdirektion.... " en 1916, furent restituées à notre
salle de mairie . De nombreux documents
manquaient après tous ces déménagements (Chambrey - Château-Salins 1915 ;
Château-Salins- Morhange 1916 ; Morhange - Château-Salins 1918 ;
Château-Salins-Chambrey 1919). Pourtant la matrice cadastrale, les registres
d’état-civil étaient intacts. Tous les registres d’état civil de toutes les
communes évacuées de l’arrondissement de CHATEAU-SALINS étaient soigneusement
rangés dans les caves de la Sous-Préfecture ainsi qu’à MORHANGE. M MARC Jules,
Secrétaire de Mairie de Château-Salins faisait fonction d’officier d’Etat Civil
des communes évacuées aidé en cela par Hubert OFCARD.
Sous-préfecture
de Château-Salins (CP Hartmann frères, Vic sur Seille)
Le jour de Pâques 1919 les habitants furent tout heureux de pouvoir suivre
les offices à l’église. Au milieu de l’église une brèche existait toujours et
du plafond tombait de temps à autre un morceau de plâtre. M l’Archiprêtre de
Château-Salins se fit un honneur de venir présider les vêpres le jour de Pâques
et partager le joie avec ses premiers paroissiens
d’après guerre.
Pour cause de danger d’accident l’église fut interdite au culte pour
l’hiver et c’est dans le hangar de M. BLAMPIED que fut aménagé un local pour le
culte.
LES DOMMAGES DE GUERRE
Ensuite il fallut déclarer les dommages subis et établir une déclaration
qui devait comprendre une évaluation sommaire en ce qui concernait la
reconstruction ou réparation des bâtiments (les bâtiments ayant été
reconstruits et réparés par le service dit : de Reconstruction) il fallait
indiquer notamment la perte des récoltes depuis 1914, des arbres fruitiers, des
prairies, vignes, houblons, le nombre d’hectares à remettre en état de culture,
les objets mobiliers avec détail, le matériel, etc., etc. La commission locale
(présidée par M Saffroy Charles - Bouchy maire) comprenait MM Henriot Emile,
Humbert François, Vernier Etienne (Dardaine) procédait à une vérification
sommaire des dossiers (fonctions parfois bien délicates). Les dossiers étaient
transmis ensuite au service des dommages de guerre de Château-Salins
(Sous-Préfecture). Au début une commission présidée par le Sous-Préfet statuait
sur les dossiers. Par la suite les sinistrés étaient appelés en conciliation
devant un monsieur ayant le titre de Représentant des Intérêts de l’Etat et ce
n’est parfois pas sans difficultés que se faisait un accord sur la somme à
allouer.
Parfois les sinistrés jugeant la somme insuffisante ne signaient pas le
Procés-Verbal de conciliation, allaient en appel à la Commission, parfois au
Tribunal des Dommages de Guerre. Ces derniers cas ont été très peu nombreux
dans notre commune. Jusqu'à ce que la vérification des dossiers soit terminée,
il fallait plusieurs années et des avances étaient allouées sur le vu des déclaration des sinistrés. Par la suite, il fallait
justifier par la présentation de factures de toutes sortes, les sommes à
percevoir (achat de mobilier, bétail, matériel etc...). Le plus de difficultés
que rencontrèrent les sinistrés fut dans la question de remise en état des
terrains, prés etc. Il fallait établir un mémoire et détailler le nombre de
cultures données, herbage etc. avec contenance des terres. Si la plantation de
vignes ou de houblonnières n’était pas faite, la somme convenue n’était pas
mandatée. Il s’est trouvé que nombreux furent les sinistrés dans l’obligation
de rembourser, certains n’étant pas en mesure d’effectuer des plantations de vignes
ou houblon. A la date du 30 septembre 1933 (date limite pour la présentation
des justificatifs) il restait pour la commune de Chambrey, deux ou trois
dossiers au plus à solder.
Chambrey en 1930 (par Marcel Pierron Photographe à Château-Salins)